L’Arvan villar, dessert de la Trilogie de Maurienne

Thomas, notre cycliste-écrivain, était le week-end dernier sur l’Arvan Villar, dernière épreuve de la Trilogie de Maurienne.

« Entrer dans ce monde plat nous desserre » écrivait Nekfeu dans son célèbre morceau humanoïde. Une belle métaphore dans laquelle on retrouve l’image d’un menu avec entrée-plat-dessert. Mais quel rapport avec le vélo allez-vous me dire? A priori aucun. Sauf si l’on a une pensée pour une belle épreuve cyclosportive,  » la trilogie de la Maurienne », l’Arvan Villar pour les puristes, qui s’est déroulée ce week-end sur 3 jours. Un menu copieux avec en entrée, le vendredi, l’enchainement col du Chaussy Madeleine, en guise de plat de résistance le samedi, le Télégraphe et le mythique Galibier et pour finir en dessert le dimanche, une belle course de 120 kilomètres à travers la Maurienne. C’est dans  ce dessert, sans un mètre de plat, que ma plume va entrer pour vous en faire une visite guidée. C’est parti, à table. Euh.. en selle.

 8h,  dimanche 11juillet, voici la petite commune d’Hermillon très animée. Animée par quelques centaines de cyclistes animés par une même envie, celle de tout donner sur les routes de la Maurienne (jusqu’à finir inanimés?) souvent qualifiée de plus grand domaine cyclable du monde. Environ 200 coureurs présents sur la ligne de départ visages masqués, avant d’avoir le masque dans le col du Glandon ou pour d’autres de se démasquer dans la dernière montée, celle de la Toussuire au sommet de laquelle est jugée l’arrivée. Chacun son niveau, chacun son objectif, mais tous ont une ambition commune, celle de prendre du plaisir sur leur vélo dans ce véritable jardin d’Eden pour cycliste. 

Un jardin magnifique qui sera vite débroussaillé.  Dès la première petite difficulté, après une vingtaine de kilomètres de plat le peloton explose et les groupes de niveaux se forment. Avant même l’entrée, le col du Glandon, ce petite amuse gueule provoque quelques indigestions. Mais vite un petit gel, vu comme un pansement gastrique, et c’est parti pour l’ascension du col du Glandon. Une vingtaine de kilomètres de montée, on  prend de la hauteur pour voir si l’on a su élever son niveau grâce à l’entrainement. Un niveau que l’on souhaite toujours plus haut mais qu’il ne faut surtout pas surévaluer. Une règle d’or vaut en montagne : ne pas se mettre dans le rouge, savoir lisser son effort, évoluer au maximum de ses capacités, sans chercher à les dépasser. Car le terme « repousser ses limites » fait partie du langage imagé. On peut pousser jusqu’à ses propres limites mais si on les dépasse se sont-elles qui nous repoussent et non l’inverse. Alors chacun évolue à son propre rythme, son propre niveau. Sur un tel parcours c’est du chacun pour soi, il n’y a pas d’autre stratégie que celle dictée par ses propres jambes. 

L’entrée avalée direction le plat de résistance, un plat peu copieux mais ô combien gastronomique grâce à la beauté de ses paysages. En effet le petit col du Mollard a quelque chose de très pittoresque,  qui le rend aussi beau que le Glandon est grand. 6kms de montée sur une petite route sinueuse, un long ruban gris comme les aime le peloton, ce long serpent multicolore. Au pied de la Toussuire, à Saint Jean de Maurienne, le serpent  très allongé va devoir aller chercher au fond de lui même le peu de venin qu’il lui reste pour rallier l’arrivée. Une longue montée plutôt dure à son entrée, un dessert dans lequel on entre les deux roues dans le plat. Qui dit dessert dit forcément sucre, et il va en manquer à beaucoup qui finiront en « hypo », en » fringale » pour reprendre les termes du jargon. Pour éviter cela, on met une dernière fois la main à la poche,  pour vite avaler un gel, et finir l’épreuve avant que ce soit elle qui nous finisse. Nous voici au terme de ce repas gargantuesque, et c’est Jocelyn GUILLOT de Bourgain Cyclisme qui a eu le plus gros appétit. Il devance sur la ligne son coéquipier Aurélien DOLEATTO et Thomas LEMAITRE de Saint Raphaël Triathlon. 

Un tel repas mérite bien un petit digestif, Alors coureurs et organisateurs se retrouvent tous ensemble dans la salle des fêtes de la sympathique commune d’Hermillon autour d’un traditionnel repas d’après course aussi convivial que savoureux. Voila une belle épreuve, organisée de main de maitre, dans le pur état d’esprit cyclosport, qui se termine. Nul doute qu’elle laissera en plus de l’acide lactique dans les muscles beaucoup de souvenirs que l’on aura à cœur de revivre en 2022. Merci à Ludovic Valentin et son équipe. Bonne digestion à tous les participants, et rendez vous le 1er Aout pour un autre festin à l’occasion de la Madeleine.  

Thomas BECARUD

A l’assaut des lacets du Turini


Cette semaine nous allons coller à l’actualité du monde professionnel en vous présentant le col de Turini (1607m), qui servira ce samedi de juge de paix à la 77e édition de Paris-Nice. Le vainqueur au sommet aura de fortes chances de s’offrir la victoire finale sur la Promenade des Anglais le lendemain. Et si ce n’est pas le cas, il s’adjugera quoiqu’il arrive un beau succès de prestige. Car le Turini est un mythe. Et ce mythe, une fois n’est pas coutume, s’est construit grâce au Rallye automobile et non grâce au Tour! Partons à la découverte des (innombrables) lacets du Turini, un col cher aux « cyclos » locaux, qui ne demande qu’à se retrouver sous les feux de la rampes.

De quatre à deux roues

Samedi sur les pentes du Turini, les moteurs de 380 watts se substitueront à ceux de 380 chevaux qui règnent habituellement en maîtres sur ces lieux. Le volume sonore sera plus bas, le bruissement des dérailleurs remplaçant le vrombissement des pots. Le World Tour en lieu et place du WRC. Le col de Turini a cette particularité d’être plus connu à travers le monde pour le sport automobile que pour le cyclisme. C’est ici, sur ces lacets entre Sospel et la Bollène Vésubie, que le Rallye de Monte Carlo a écrit depuis les années 60 ses épisodes les plus mythiques à coup de spéciales de nuit, sous la neige si possible, dans une ambiance brûlante entretenue par les « tifosi » débarquant ici en voisins.

Côté vélo, le Turini est un oublié. Un laisser pour compte. Le Tour n’y est passé que 3 fois, la dernière il y a 46 ans, au cours d’une étape Embrun-Nice remportée par Vicente Lopez Carril. Une éternité. Que Robic ou Bobet y aient basculé en tête (en 1948 et 1950) n’y change rien, peu à peu le Turini s’est effacé… Louons donc le choix d’ASO de le remettre au goût du jour cette année grâce à « la Course au Soleil ». Et le Grande départ du Tour de Nice l’an prochain nous fait soudainement envisager les spéculations les plus folles…

Hors Rallyes, point de fureur et de bruit. Le col de Turini est un endroit plutôt calme, voire sauvage. Et lorsqu’on évite certaines périodes de « haute saison » touristique au coeur de l’été, il est fréquent de pouvoir y monter sans y rencontrer le moindre engin motorisé. Il est en tout cas particulièrement prisé par les « cyclos » locaux et son altitude en fait le premier « grand » col que l’on rencontre en quittant le littoral.

Un carrefour stratégique

Le col relie en fait 3 vallées : la Vésubie (versant la Bollène), la Bévéra (Sospel) et le Paillon (l’Escarène). Cette situation de carrefour et sa proximité avec la frontière italienne a fait de cette zone, un endroit hautement stratégique et d’une importance militaire majeure. D’où cet incroyable réseau de routes, a priori parfois totalement inutiles, mais qui avaient pour but un transport rapide et efficace des troupes et une maîtrise totale du territoire. En avril 1945, les dernières poches de résistances allemandes dans le secteur ont d’ailleurs entrainé des combats acharnés et sanglants, notamment sur le secteur de l’Authion surplombant le col. Jeter un oeil au passage, dans le secteur de Peira Cava, aux impressionnantes casernes aujourd’hui abandonnées, qui constituent par leur architecture un incroyable patrimoine au coeur de cette montagne. Vous remarquerez également de nombreux abris en pierres taillées, remarquablement conservés, le long du versant sud-ouest notamment… qui peuvent s’avérer particulièrement utiles en cas d’orage!

Si ces routes ont été tracées et construites par les Chasseurs Alpins, nous, cyclistes, en profitons aujourd’hui, dans un climat bien plus appaisé. Pour notre plus grand bonheur. Et le menu offert par le Turini est royal, car ce col ne se limite pas à deux versants : il en a « au moins » trois. Plus des variantes. Une possibilité de boucles et d’enchainements quasi infinis.

Focus sur le versant La Bollène-Vésubie

Pour beaucoup il s’agit du versant le plus dur, voire le plus « prisé », même s’il est aussi le plus « court » (15,2km). Il est en effet, si l’on s’en réfère à sa pente moyenne (7,3%), le plus raide. C’est celui que montera Paris-Nice ce samedi 16 mars. Et celui que les « cyclo » affrontent en premier lors de la Mercan’Tour Turini-Officine Mattio, la cyclo qui met ce col à l’honneur (le 25 août) pour la troisième année consécutive. Voici plusieurs raisons de nous attarder un peu plus longuement sur ce versant « vésubien ». En jetant un oeil sur le segment STRAVA vous verrez aussi qu’il sert d’étalon à pas mal de coureurs de renom habitant dans le secteur… Le KOM est la propriété de Rudy Molard. Il l’a « chippé » à Warren Barguil pour 3 secondes il y a dix jours… qui l’avait lui-même établi il y a 2 semaines! Petites piques à distances en prévision du 16 mars.

Une ascension régulière et sans répit

Le départ se prend peu après Lantosque, lorsqu’on quitte la M2565 au lieu dit de la gare de la Bollène. A l’intersection un ancien bar vous accueille avec cette devise peinte en grosses lettres sur la façade : « il vaut mieux boire ici qu’en face ». Si la formule fait sourire, la pente qui se dresse immédiatement face à vous n’a elle rien d’humoristique. On entre directement dans le vif du sujet avec des pentes qui pointent déjà à 9%. Au bout d’1,5 km, profitez bien du seul moment de répit de l’ascension qui se prolonge jusqu’au village de la Bollène-Vésubie (3e km). Dès la sortie du village, changement d’ambiance : la pente oscille sans discontinuer entre 7 et 9%. L’ascension est régulière. Régulière dans la difficulté, sans véritable « mur » mais sans moment de récupération également. Le revêtement est bon. Et c’est appréciable. Il faut trouver son rythme, ne pas faire l’erreur de se mettre en surrégime, sous peine de le payer plus haut. On longe tout d’abord d’impressionnantes parois calcaires où l’on peut admirer le génie des hommes qu’aucun obstacle naturel ne semble pouvoir arrêter lorsqu’ils le décident. Puis arrivent les lacets, qui s’enchainent. Les prendre un peu au large permet d’économiser quelques watts un court instant. On ne se rend compte de ce spectaculaire enchainement qu’un peu plus haut, lorsqu’on surplombe un instant la route en contre-bas.

Ce sommet que l’on ne voit pas…

Nous sommes à présent à une altitude où les feuillus laissent progressivement la place aux conifères. Il reste environ 4km, et l’on a cette sensation bizarre, au milieu de cette forêt, de ne jamais voir le sommet. Dans cette partie finale (à 8% de moyenne tout de même), chaque virage se ressemble, chaque courbe semble vous amener vers ce but qui se dérobe, encore et toujours. L’absence de bornes kilométriques n’aide pas vraiment. Finalement, on débouche sur le col quasiment par surprise. En haut, plusieurs hôtels sont ouverts une bonne partie de l’année, au cas où la fringale guette! Et si le coeur vous en dit, au lieu de basculer de suite vers l’un des deux autres versants, vous pouvez virer à gauche et vous rajouter la montée vers la petite station de Camp d’Argent (1 téléski, 1 piste!) et la boucle de l’Authion… Ceci est une autre histoire et ce circuit mérite un reportage à lui tout seul! Tiens, peut-être une idée pour les mois à venir…

Petit conseil : en plein été, il est préférable de monter ce versant le matin, lorsqu’il est encore à l’ombre. La sensation de fraîcheur que l’on y ressent est particulièrement agréable !

Les autres versants

Nous les détaillerons un peu moins, mais il est impossible de ne pas parler des deux autres versants du Turini, tant chacun apporte son lot de vues incroyables, d’atmosphères si particulières. Les différents versants du Turini étalent au final un condensé de la diversité de paysages qu’offre le Haut-Pays niçois, en l’espace de quelques kilomètres : de la garrigue méditerranéenne, des parois calcaires qui brûlent au soleil, des pins, des forêts sombre d’épicéas, d’incroyables vues sur le Mercantour d’un côté et la mer de l’autre… Des changements d’ambiance soudains entre Méditerrannée et Alpes.

Le versant sud-est

Par Sospel, magnifique village au riche passé et à la position stratégique au carrefour de nombreux cols (Braus, Brouis, Castillon, Vescavo), vous pourrez vous attaquer à un versant long de 24km à 5,2% de moyenne. De ce côté-ci, la pente se fait progressivement plus rude. Les premiers kilomètres sont doux et permettent un agréable échauffement avec en point d’orgue les superbes lacets qui, à travers les gorges du Piaon, mènent jusqu’à la Chapelle Notre Dame de la Menour qui vous toise sur son éperon rocheux. De là, un beau replat vous attend jusqu’à Moulinet où vous aurez déjà fait la moitiée de l’ascension… en distance, pas en temps. Car c’est dans les 10 derniers kilomètres que les choses se compliquent. On ne descend alors plus sous les 7% jusqu’au sommet et l’on monte à travers une épaisse forêt de conifères (fort appréciable en cas de fortes chaleurs!) qui nous masque le sommet jusqu’à ce que l’on y débouche sans crier gare. De plus, vous ne trouverez pas forcément sur ce versant également de bornes kilométriques (sans doute trop souvent enlevées comme « trophée » par les amateurs de rallye). Ce qui donne souvent la sensation d’être un peu perdu si l’on a pas pris soin de jeter un oeil sur son compteur au départ!

Le versant sud-ouest

Le versant venant de l’Escarène est sans doute le plus sauvage. Et celui qui offre les vues les plus étonnantes sur la Méditerranée dans l’incroyable enchainement de lacets qui mène à la Baisse de Cabanette. Où vous ne devriez pas manquer de croiser un troupeau de chèvre qui a annexé les lieux. Il est aussi le versant le plus proche et le plus direct pour venir de Nice. En l’empruntant, il n’y a que 50km entre le centre-ville et le sommet du col (et inversement). Entre les forêts d’épicéas et les galets de la « Prom’ « . Il déroule à partir de l’Escarène (350m) 26km à 4,7% de moyenne, la partie la plus difficile se situant entre Lucéram (km 7) et la Baisse de Cabanette (km 17) où pendant 10km la pente atteint une moyenne légèrement supérieur à 7%. Costaud, mais les 9 kilomètres restant sont très roulants à travers une agréable forêt.

Nous pourrions parler de la variante par le col Saint Roch en bifurquant à Lucéram. Nous pourrions même noter que l’on peut, via le petit col de l’Ablé, arriver sur ce versant par le col de Braus (ce que fait par exemple la Mercan’tour Turini). Dans ce cas-là pourquoi ne pas parler de la possibilité d’enchainer également le Turini à la suite du col de la Porte en arrivant de Lantosque? Un terrain qui vous nécessitera de nombreux jours si vous souhaitez l’appréhendre dans sa diversité (et sa complexité!)

Texte : Christophe Menei
Crédits Photos : Mickael Gagne-Cédric Dubois-Christophe Menei

mis à jour le 19/01/2021



La Bonette : on a roulé sur la lune!

Pour démarrer cette rubrique dédiée aux grands cols nous aurions pu faire dans le grand classique : Galibier, Tourmalet, Ventoux… Des géants, vu et revus, qui attirent, à juste titre, toujours autant et dont les noms sont gravés dans l’imaginaire collectif. Ne vous inquiétez pas, nous leur rendrons visite. Mais comme chez Granfondo France, nous aimons les classiques mais nous cherchons également à un peu sortir des sentiers battus, nous avons décidé d’aller un peu plus loin. Un peu plus au sud. Et un peu plus haut. Oui plus haut. Au-delà des 2800m pour être précis. C’est dans le Massif du Mercantour, dans ces Alpes-Maritimes où la Méditerranée est à portée de main, que nous inaugurerons donc cette série de reportages. Du côté de la « Bonette-Restefond ». Depuis 2016 d’ailleurs, ce col à « sa » cyclo : la Mercan’Tour Bonette. Raison supplémentaire pour vous proposer ce voyage en haute altitude !

Tour de France 1993, étape Serre-Chevalier – Isola 2000 : « Le lendemain, vers Isola 2000, nous avons escaladé l’Izoard puis le col de la Bonette, toit du Tour. J’ai un souvenir très précis. Je suis resté le dernier dans toute l’ascension. Volontairement. Les mains en haut du guidon, j’ai pleinement apprécié. Je respirais fort ces derniers temps d’éternité cycliste : les miens. L’instant de devait pas m’être volé. Monter au-dessus de 2700 mètres dans ces circonstances avait de quoi me redonner des raisons d’apprécier, pendant quelques longues minutes d’évasion mentale, tout ce que j’avais désormais vécu sur un vélo. Un fractionné poétique… »

Ces mots sont ceux du regretté Laurent Fignon, l’un des plus grands champions de l’histoire du cyclisme français, qui relate dans son autobiographie le moment où il décida de laisser le peloton filer sans lui, ici, dans ce décor majestueux de la Bonette qui dépasse « de sa tête granitique tous les phénomènes de la nature proposés aux coureurs » (Jacques Goddet, directeur du Tour-1962). Preuve que ce col, s’il fût finalement peu visité dans l’histoire du Tour a bien une valeur symbolique. Sa longueur, ses paysages lunaires, ses roches sombres lorsqu’on approche du sommet, son altitude inédite, en font une ascension spéciale, unique. Une expérience en soi. Découvrons donc la si mal connue « Bonette » !

Restefond, col ou Cime, « plus Haute route d’Europe » :  remettons un peu d’ordre !

bonette restefondSur les panneaux routiers, à l’approche du col, apparaît le nom de « col de la Bonette-Restefond ». Vous pourrez toujours chercher ce fameux « col de Restefond » (2680m), vous ne le trouverez pas. Du moins, pas si vous restez sur la route. Car le col de Restefond est bien un col que vous passerez en bifurquant 2km en contre-bas de celui de la Bonette… mais en empruntant une piste ! Continuons donc jusqu’au « col de la Bonette ». Situé à 2715m, il est le quatrième plus haut col routier d’Europe, après l’Iseran (2764m), le Stelvio (2757m) et l’Agnel (2744m). Et « la plus haute route d’Europe » me direz-vous ? Celle vantée sur les panneaux que l’on suit à l’approche des deux versants. Et bien il s’agit en fait du tour de la « Cime de la Bonette ». Une boucle de 2 kilomètres, une route parfaitement inutile, tracée expressément pour dépasser l’Iseran en altitude et qui culmine à 2802m. Puisqu’elle est inutile, il est évident qu’il faut s’y aventurer car une fois au col, impossible d’échapper à l’irrépressible besoin de passer cette barre des 2800m… malgré un dernier kilomètre offrant des pentes à 15%. Mais de là-haut, le spectacle vaut vraiment le « détour », c’est le cas de la dire ! La Bonette, où les quatre points cardinaux s’offrent à vous, propose l’un des plus beaux panoramas des Alpes-Maritimes.

Alors certes, ces panneaux ont un objet quelque peu « marketing » et l’on pourra noter que l’on trouve en Espagne, dans la Sierra Nevada (Pico Veleta à 3398 mètres), voire en Autriche (tunnel de la Ötztaler Gletscherstasse à 2829 mètres) des routes asphaltées qui montent encore plus haut… Mais est-ce bien important ? Disons que le « tour de la Cime de la Bonette » est la route asphaltée la plus haute permettant le passage d’une vallée à une autre. Et qu’il s’agit en tout cas du point le plus haut atteint dans l’Histoire du Tour de France. Ce qui n’est finalement déjà pas si mal !

Histoire d’une route…

Que sont-ils allés faire là-haut ? La question vient immanquablement à l’esprit. Et des questions, dans cette très longue ascension, nous avons le temps de nous en poser. Essayons donc de vous apporter quelques éléments de réponse car avant de parler de l’Histoire du Tour, il est ici nécessaire de faire un petit crochet par l’Histoire… tout court. Car vous ne manquerez pas d’observer tout au long de cet itinéraire d’imposants vestiges militaires.

Historiquement, ce passage entre la vallée de la Tinée, territoire du Royaume de Piémont Sardaigne comme l’ensemble du Comté de Nice jusqu’en 1860, et la Vallée de l’Ubaye, elle française, était peu usité. On lui préférait le passage par le col de la Cayolle, plus aisé, un peu plus à l’ouest. En 1860, le Comté de Nice devient français et la frontière est donc repoussée un peu plus vers l’est. D’importants aménagements routiers sont mis en chantier dans tout le Haut-Pays niçois alors très enclavé et Napoléon III envisage, dès août 1860, la création d’une « Route Impériale » reliant Nice à Barcelonnette par cette vallée de la Tinée.

Le secteur de la « Bonette-Restefond » devient stratégique d’un point de vue militaire car les relations entre la France et le nouveau Royaume d’Italie vont rapidement se détériorer. Cette zone va donc devoir être protégée d’une éventuelle invasion italienne et c’est alors que démarrent de nombreux chantiers de fortifications. Et qui dit chantiers dit nécessité d’apporter sur place des matériaux : une première piste charretière est donc tracée via le fameux « col de Restefond ». Mais de conflit lors de cette période il n’y eu point, et à partir de 1915 l’Italie et la France se retrouvent finalement dans le même camp lors de la Première Guerre Mondiale. L’arrivée de Mussolini au pouvoir entrainera un nouveau renversement des alliances et donc une nouvelle vague de travaux : la ligne Maginot des Alpes. La piste va donc progressivement se transformer en route carrossable afin de transporter de nouveaux matériaux (béton, acier) bien plus lourds. Des combats cette fois-ci il y en aura… mais très brièvement et l’armistice de juin 1940 entre la France et l’Italie marquera la fin de l’intérêt militaire du site.

La paix et l’avènement de L’ère du tourisme et du commerce allait lui donner un nouvel élan, et la volonté de tracer une « route de prestige » (selon les mots du Préfet de l’époque) dépassant l’Iseran, alors plus haut col routier d’Europe, allait permettre de débloquer les fonds nécessaires pour poursuivre le tracé jusqu’au col et à la Cime de la Bonette (2802m) par l’itinéraire que nous connaissons aujourd’hui. Le 2 octobre 1961 sera finalement inaugurée (plus de 100 ans donc après la promesse de NapoléonIII) la « Route de la Bonette-Restefond », alors « plus haute route d’Europe ». Le Tour de France ne pouvait tarder à s’aventurer dans les parages…

Dans l’Histoire du Tour de France… et du Giro

Quatre fois seulement le Tour s’est élancé vers les pentes lunaires de la Bonette. Il y a plusieurs explications à ce que nous pourrions finalement considérer comme une « anomalie » : tout d’abord une route qui a été tracée et asphaltée très tardivement comme nous l’avons donc vu. Ensuite, sa position géographique très excentrée, à l’extrême sud-est du pays, la rend difficile à intégrer dans un tracé du Tour.

Il y eu donc 1993, l’ultime ascension de Laurent Fignon comme évoquée en préambule. Fignon choisissant ce théâtre de choix du point culminant du Tour pour mettre en scène sa révérence, comme Bobet dans l’Iseran en 1959 avant lui. Tutoyer le ciel une dernière fois, choisir un lieu à la hauteur de leur immense palmarès, quoi de plus normal pour des champions de cette envergure. 1993, c’est aussi le catogan de l’écossais Robert Millar passant seul au sommet après avoir distancé Pedro Delgado qui avait tenté de l’accompagner à la sortie de Jausiers. Millar repris par la suite au pied d’Isola 2000, puis attaquant à nouveau une dernière fois… Chant du cygne pour le britannique, l’un des grimpeurs les plus flamboyants des années 80, qui n’est déjà plus que l’ombre de lui-même. Millar, Delgado, Fignon… cette étape marque finalement après coup la fin de ces années 80 et d’une certaine forme de cyclisme. Avant l’entrée dans un long tunnel… mais cela est un autre sujet.

En 1993, cela faisait trois décennies que le Tour de France ne s’était plus aventuré sur la Bonette. C’est seulement en 1962, quelques mois après l’inauguration de la route donc, qu’elle apparaît pour la première fois sur la carte du Tour de France. Et qui d’autre que Federico Bahamontès, l’un de plus grands grimpeurs de l’Histoire du Tour (qu’il gagna d’ailleurs en 1959), pouvait franchir en tête le sommet le plus haut jamais atteint par la course au maillot jaune ? Cette « première » fût escaladée par le versant sud, celui des Alpes-Maritimes, dont l’ascension démarre à Saint-Etienne-de-Tinée (étape Antibes-Briançon). Bis repetita en 1964, mais par l’autre versant, lors d’un Tour marqué par le légendaire duel Anquetil-Poulidor qui connaitra son apothéose dans le Puy de Dôme. En compagnie des deux champions français, « l’Aigle de Tolède » passera à nouveau en tête au sommet dans une étape reliant Briançon à Monaco.

S’il a fallu attendre près de 30 ans pour revoir à nouveau la caravane du Tour dans le secteur en 1993, il faudra ensuite patienter à nouveau 15 ans pour un nouveau retour. En 2008, arrivant de Cuneo en Italie, via la Lombarde, lechute John Lee Augustyn peloton attaque la Bonette comme dernière difficulté du jour avant de plonger sur Jausiers où doit être jugée l’arrivée. Franck Schleck est en jaune. Au sommet c’est un petit moment d’histoire qui s’écrit à nouveau. Dans le dernier kilomètre, là où la pente se fait la plus raide et l’oxygène le plus rare, le sud-africain John Lee Augustyn se détache du groupe d’échappés qui ouvre la route. Il devient le premier africain à passer en tête sur un col du Tour. Et sur son point le plus haut, excusez du peu! Quelques minutes plus tard, ce sont les images d’un John Lee Augustyn tentant de remonter du ravin où il est tombé qui vont rester en mémoire. Le sud-africain rate un virage dès les premiers kilomètres de la descente et dégringole le long des pentes désolées et rocailleuses. Plus de peur que de mal. L’Histoire du Tour s’écrit bien souvent aussi avec des accents tragiques. Un peu plus de 20km plus bas, à Jausiers, c’est le français Cyril Dessel qui s’impose.

Mais il n’y a pas que le Tour dans la vie ! En 2016, le Giro s’est également aventuré ici. La Cime encore enneigée à cette période de l’année, c’est au col (2715m), où Mikel Nieve passe en tête, que les coureurs ont basculé vers la vallée de la Tinée. Vincenzo Nibali, à la veille de l’arrivée à Turin, allait ensuite renverser la course à la faveur de la montée du col de la Lombarde et du final vers Sant’Anna di Vinadio et déposséder Esteban Chaves du maillot Rose. Un vrai chef d’œuvre. Une étape de légende dans l’histoire moderne du Giro.

Description de l’ascension

Amis cyclos, voici une ascension à conquérir ! Son caractère sauvage, ses paysages grandioses et son altitude en font une montée au caractère et à l’ambiance bien particulière parfois même hostile lorsque les conditions météo s’en mêlent. Si les pentes n’y sont jamais trop raides, l’ascension est longue, très longue. Trop longue certains jours, lorsque la condition physique se fait défaillante. Comme l’écrivit Antoine Blondin lors du passage du Tour en 1962 : « ce col tue lentement ». Bref, la Bonette est une expérience unique. A vivre pleinement, assurément. A accrocher à son tableau de chasse pour tout cyclo en quête de monument.

L’ascension par le versant Sud

C’est sur le versant « Alpes-Maritimes » que nous allons nous attarder ici. Tout d’abord, car c’est ce versant qui est au programme de « la Mercan’Tour Bonette DT SWISS » (le 16 juin 2019), le granfondo qui au départ de Valberg, met la Bonette à l’honneur pour la 4e année. Messieurs les cyclos, voici donc un petit road-book qui pourra s’avérer utile si la bonne idée de participer à cette épreuve vous traversait l’esprit. Pour le versant Nord, nous y reviendrons plus en détails lorsque nous irons en Ubaye… patience !

L’ascension propose 25,8 kilomètres pour un dénivelé positif total de 1652m. La pente moyenne est de 6,4%. Rien de bien effrayant donc en termes de pente puisque, si ce n’est dans le dernier terrible kilomètre où l’on trouve du 15%, les pentes maximums ne passent guère la barre des 9%. Mais comme vous l’avez compris, la difficulté de ce col réside dans sa longueur. Et dans son altitude, bien évidemment. Lorsque l’on sort de Saint Etienne de Tinée (1150m) les 4 premiers kilomètres sont relativement doux (4,5% de moyenne) et permettent de s’échauffer agréablement. On longe la Tinée, on profite de la fraîcheur du torrent et de l’ombre de la forêt. Regardez bien ces arbres : très rapidement ils vont disparaître pour laisser place à un monde de pâturages puis de rocaille. A partir du 5e kilomètre et de l’embranchement vers le village de Saint Dalmas-le-Selvage, la pente commence à se durcir. Rien d’extraordinaire mais l’on reste à présent au-dessus des 6% de moyenne. C’est à partir d’ici également que l’on rentre dans la zone cœur du Parc National du Mercantour, au lieu-dit du « Pont Haut ». Ce Parc, sauvage et préservé, est un sanctuaire pour la faune et la flore qui y sont d’une incroyable richesse. C’est une chance de pouvoir évoluer à vélo dans un tel environnement… et cela permet également d’accepter plus facilement les souffrances que nous inflige la pente ! Jusqu’au hameau du Pra (1649m), après déjà 10km d’ascension, tout semble assez facile. Mais il faut en avoir gardé sous la pédale, car les choses sérieuses vont véritablement commencer. Et il reste encore 16 kilomètres d’ascension… Les 5 kilomètres suivants sont aux alentour de 8% de moyenne. Tantôt un peu au-dessus, tantôt un peu en-dessous. La courte traversée de Bousieyas (1875m, plus haut hameau habité des Alpes-Maritimes) permet de profiter d’un (très) court replat. Si vous êtes en mode « rando », rien ne vous empêche de vous arrêter prendre un verre au très sympathique Gîte. Pour ceux qui visent plus la performance, nous vous conseillons de vous y arrêter… au retour ! Car le sommet est encore à un peu plus de 13 kilomètres d’ici. D’ailleurs, depuis quelques hectomètres, on peut déjà l’apercevoir au loin. La Bonette a une forme caractéristique, arrondie, massive. Et constellée de neige jusque très tard dans la saison. Selon la forme du moment, le moral peut en prendre un coup. 

Les kilomètres suivants se déroulent dans de vastes alpages où l’on monte en lacets. Le revêtement est toujours excellent, ce qui est très appréciable. Ouvrez bien les yeux, vous êtes dans le royaume des Marmottes. La côte symbolique des 2000m est atteinte au kilomètre 15. Evitez de faire le calcul… Si vous l’avez fait, oui, nous vous le confirmons, il reste encore 11 kilomètres à escalader ! Mais la pente se radoucit pour à présent toujours rester entre 6 et 7%. Ce long et magnifique enchaînement de lacets prend fin au « Camp des Fourches » (2290m), ancien camp militaire, longtemps laissé à l’abandon et actuellement en cours de rénovation. Le passage au milieu des ruines est un moment fort de l’ascension. Nous avons surpassé ici l’altitude du Tourmalet depuis près de 200m et le sommet est encore à près de 8 kilomètres d’ici. Une idée de la démesure du lieu.

Le Camp des Fourches marque également une nette rupture dans le décor. L’herbe des pâturages lacets bonettelaisse ici la place à un univers minéral fait de roches sombres. L’ambiance devient austère voire inhospitalière en fonction de la luminosité. A la fin du printemps ou tôt dans l’été, d’impressionnant névés pouvant atteindre 3 à 4 mètres de haut bordent la route. Cependant la pente se radoucit un peu. On passe même sous les 5% par endroits. Lorsque l’on est en forme, on peut ici « tomber des dents » et se rêver l’espace de quelques instants en coureur du Tour… A condition d’encaisser l’altitude. Car si la pente est plus douce, la barre des 2600m a été passée. On laisse sur la droite la piste qui s’en va vers le « col de Restefond » et à présent « la Bonette » se dresse, imposante, devant nous. Au col (2715m), il vous reste encore environ 1 kilomètres pour atteindre la point haut (2802m) de la route qui fait le tour de la Cime. Ici la pente se cabre véritablement et devient terrible : 12, 13 puis 15%. A cette altitude, chaque pourcent compte double ! Mais au sommet, quelle récompense. Le panorama sur l’ensemble du Mercantour et sur les Ecrins au nord est absolument sublime. Buvez, mangez, remplissez vos poumons de cet air rare et pur : vous avez bien mérité cet instant de plénitude.

La route est généralement déneigée jusqu’au col dans les derniers jours de mai. Selon l’enneigement hivernal, le tour de la Cime n’est pas accessible avant le 15 voir le 20 juin.

Fiche technique – Conseils pratiques
Cime de la Bonette (2802m) – Versant sud
DépartSaint Etienne de Tinée (1154m)
Longueur25.8km
Dénivelé total1652m
Pente moyenne6.4%
Pente Max.15%
Temps d’ascensionenviron 2h pour un cyclo moyen

Braquets : Les coureurs ou cyclosportifs de bon niveau peuvent opter pour un 39*28. Le 36*28 ou 30 sera à privilégier pour la plupart des cyclos, surtout si l’on décide d’inclure d’autres cols dans la journée.

Idées parcours 

Inclure la Bonette dans un circuit est assez difficile ou alors il vous faudra vous résoudre à une très longue journée de vélo ! Deux itinéraires absolument magnifiques s’offrent cependant à vous :

–          Les 3 cols « Bonette-Larche-Lombarde » (dans le sens qui vous convient en fonction de votre lieu de départ). 160km pour 4200m de dénivelé. Un itinéraire qui a la particularité de se dérouler entre France et Italie.

–          La « Valbergane » : qui a été le grand parcours de la « Mercan’Tour Bonette », à savoir l’enchainement Couillole (très court sur ce versant) -Bonette-Cayolle-Valberg au départ de Valberg. Le tour fera 192km pour 4600m de D+. Corsé, mais l’une des plus belles boucles des Alpes françaises !

Une très intéressante variante « gravel » de la Bonette existe via le col de la Moutière. Ce versant sera justement visité cette année à l’occasion de la Mercan’Tour Bonette DT SWISS, le 22 août prochain. Mais nous y reviendrons dans un futur reportage…

Loger dans les environs 

Saint Etienne de Tinée, Mercantour Ecotourisme, Valberg

Faire la Bonette en Cyclo

la Mercan’Tour Bonette DT SWISS – 22 août 2021 : 6e édition de cette cyclo proposant cette année un nouveau parcours via le col de la Moutière. A découvrir absolument! L’épreuve part et arrive à Valberg. Une épreuve à découvrir absolument!

Les 7 majeurs – Il ne s’agit pas d’une cyclosportive mais d’un véritable défi! La « Confrérie des 7 Majeurs » vous propose d’enchainer 7 cols franco-italiens à plus de 2000m (Vars, Izoard, Agnel, Sampeyre, Fauniera, Lombarde… et bien sûr la Bonette!), dans l’ordre et dans le sens que vous souhaitez, en moins de 24h pour devenir « Grand Maître de la Confrérie des 7 Majeurs »

Mis à jour le 19/01/2021